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Népal, entre ciel et terre

Le voyage au pied de l'hymalaya

«Everything happens for a reason». J’ai eu tout loisir de méditer cette maxime, durant mes quinze jours de trek. Le jour J, j’ai pesté contre cette tique, souvenir encombrant de mon séjour dans la jungle. Je l’ai découverte solidement accrochée au bas de mon dos le matin même où je m'apprêtais à gagner les Annapurnas. Ce désagrément a reporté mon départ d'une semaine. Je devais apprendre plus tard que les conditions météorologiques exécrables avaient causé la mort de deux hommes à la date même où j'avais prévu de passer le redoutable col du Thorung La. Loin de moi l'idée qu'il me serait arrivé pareil sort, mais cet ajournement finalement bénéfique m’a fait passablement réfléchir sur les évènements impromptus de la vie.

Saut dans l’inconnu

ruelle de ville très encombrée par la pub et les câble d'électricitéVendredi 28 février, 6h du matin, je monte dans le bus qui doit me conduire au point de départ du trek. Mon sac à dos est bien rempli et ma piqûre de tique semble guérie. Je suis prêt à affronter un des treks les plus réputés au monde, sans doute l'un des plus beaux également. D'une durée de 11 à 21 jours selon le rythme de marche et les itinéraires choisis, le trek des Annapurnas serpente autour de la chaîne montagneuse du même nom, avec un passage périlleux au col du Thorung La à 5416 mètres d'altitude. Dans le bus, je fais connaissance de deux Allemandes, une Française et un couple de Chiliens qui deviendront mes compagnons de route. Une jeep nous mène ensuite jusqu'au petit village de Jagat (à 1300 mètres) où nous passerons la nuit. La soirée est animée. Chacun se présente autour d'un grand pot de «Hot Lemon», mais la discussion s'oriente rapidement vers la grande aventure qui nous attend. L'excitation que génère cette plongée dans l'inconnu rend le moment tout particulier.

Des maux diffus

Les premières journées de marche sont pluvieuses et difficiles. Comme je n'ai aucune expérience en trekking, j'ai emporté toutes mes affaires sur le dos, alors que je n'aurais dû prendre avec moi que le strict minimum. Mon sac ne pèse pas loin de 20 kilos. Après trois jours de marche, je souffre en alternance des pieds, des genoux, du dos, des hanches, des épaules et de la nuque. Tant et si bien que je suis à deux doigts d'engager un «porteur» pour quelques jours afin de me soulager. Mais ma fierté reprend le dessus, d'autant plus que les filles avec qui je voyage - dont le sac est tout de même deux fois moins volumineux que le mien - poursuivent vaillamment sans aide. Je décide donc de me débarrasser du matériel inutile. Je donne un pantalon et un livre à un trekkeur, j'offre un gros cadenas à un hôte et j'échange mes gros tubes de dentifrice, shampoing et produit pour lentilles contre des échantillons.

Des morts sous l’or blanc

Il s'avère finalement que mon corps s'habitue gentiment à ce poids sur mon dos et l'ascension devient plus facile jour après jour. Les chemins terreux laissent place à des petits femme tenant son bébé dans les bras, tous deux portent du maquillage traditionelsentiers de montagne à mesure que nous gagnons de l'altitude. La neige fait progressivement son apparition sur certains tronçons. En chemin, nous croisons des trekkeurs qui ont fait demi-tour car le col était fermé à cause du mauvais temps et d’importantes chutes de neige. Nous apprenons aussi que deux personnes sont mortes en tentant de traverser le col. Nous décidons toutefois de continuer avec l'espoir que les conditions s'améliorent d'ici là.

Un beau matin, les nuages se sont entièrement dissipés. Le spectacle est fabuleux: la chaîne des Annapurnas se dresse fièrement devant nous. Ses hauts monts enneigés, culminant pour certains à plus de 8000 mètres, se découpent dans le ciel d'un bleu profond. J'ai l'impression d'être à la fois si proche et si loin de ces monstres blancs que cela provoque en moi une légère sensation de vertige. Nous poursuivons notre route dans ce cadre majestueux.

Nuits blanches

Dormir devient de plus en plus difficile, à partir de 2500 mètres d'altitude. Dès que le soleil se couche, les températures chutent et il devient très compliqué de se réchauffer. Le soir, tout le monde se regroupe autour du réchaud pour essayer d'emmagasiner un peu de chaleur. Les insomnies sont nombreuses à cause de l'altitude et les multiples couches (habits thermiques, sac de couchage, couvertures) ne suffisent pas toujours à se protéger complètement du froid. Mais le pire reste encore les douches, ce moment dramatique où il s'agit de se laver avec un seau d'eau soi-disant tempérée dans une petite cabane glaciale à l'extérieur, et parfois dans la nuit noire à cause des coupures d'électricité. Un de ces épisodes m'a tant traumatisé que j'ai décidé, à l'instar de la majorité des trekkeurs, de faire l'impasse sur la douche pour les deux derniers jours avant de passer le col.

Arrivés à 3500 mètres d'altitude, il faut respecter un jour d'acclimatation pour habituer notre organisme à l'altitude. Le mal aigu des montagnes (MAM) peut être très dangereux et même mortel si on ne respecte pas les paliers d'acclimatation au-dessus de 3000 mètres. Une sorte de psychose s'installe parfois autour de ce mystérieux MAM qui peut toucher aussi bien le trekkeur lambda que le sportif bien entraîné.

Avec des si

La dernière étape avant le passage du col nous mène jusqu'à 4450 mètres. Le soir au souper, la tension est palpable chez les trekkeurs avant l'étape majeure de ce Tour des Annapurnas qui nous conduira jusqu'au col du Thorung La (5416 alt.). Tout le monde va se coucher tôt pour essayer de reprendre un maximum de forces. Cette nuit-là, je rumine les différents scénarios catastrophes. Et si j'attrape le mal des montagnes? Et si quelqu'un de mon groupe n'arrive pas au sommet? Et si les conditions météorologiques deviennent brusquement mauvaises et qu'il se met à neiger? Et si...

Je finis enfin par m'endormir, mais pas pour longtemps. Le départ est fixé à 4h du matin. Après avoir englouti un bon porridge, nous voilà partis pour une ascension rhinocéros dans la forêtde 1000 mètres, en file indienne dans la pénombre, à la lueur de nos lampes frontales. Le ciel est encore criblé d'étoiles. Le silence qui règne autour de nous est magique. La température frise les -20° mais les innombrables couches que j'ai superposées m’empêchent d'avoir trop froid. Puis, le jour commence à se lever dévoilant un paradis blanc, immaculé. Les premiers rayons de soleil nous redonnent du courage. Mais l'ascension est interminable. Derrière chaque mont s'en cache un autre, encore plus haut. La neige et l'altitude ralentissent fortement notre progression. Chaque pas est un effort. Le souffle se fait court. Et soudain, des drapeaux de prière volent au vent. Le sommet! Je me sens envahi d’un profond soulagement. C’est alors que je réalise que j’avais cruellement sous-estimé ce trek, au moment où je l’avais planifié depuis la Suisse, telle une simple randonnée en montagne. Je ne m’attendais pas à vivre une pareille aventure, à devoir souffrir de la sorte. Mais peu importe, maintenant que je suis au sommet… | rc